L’héritage de Madam C. J. Walker : la lutte contre la discrimination capillaire dans le monde professionnel



Le 28 mars 2024, une proposition de loi visant à interdire la « discrimination capillaire » a été adoptée par l’Assemblée nationale. Grâce à cette loi incarnant un progrès significatif vers l’égalité, nul ne peut plus être discriminé au travail à cause de la couleur, de la longueur ou de la texture de ses cheveux. Nous nous prenons à penser qu’une telle loi trouverait peut-être ses racines (sans jeu de mots) dans l’histoire inspirante de Madam C. J. Walker. Voici comment la vie de cette entrepreneure afro-américaine a laissé un héritage indélébile dans la lutte contre la discrimination capillaire dans le monde professionnel, mais aussi, plus largement, dans notre société occidentale.
Loi contre la discrimination capillaire : quelle légitimité ?
Jusqu’à aujourd’hui, y compris dans les entreprises françaises, appartenant pourtant à la nation des droits de l’Homme et du Citoyen, une forme d’intolérance capillaire planait au-dessus des employés et des candidats à l’embauche. D’ailleurs, dans certaines d’entre elles, des codes très stricts devaient même être appliqués par les salariés. À tel point qu’un steward, exerçant dans une compagnie aérienne française, s’est retrouvé licencié pour la seule raison qu’il n’avait pas respecté le règlement interne concernant les normes de « coiffure » imposées par le manuel du port de l’uniforme de la compagnie. À l’époque, la Cour de cassation avait jugé que la compagnie aérienne s’était rendue coupable de discrimination en sanctionnant un steward qui avait porté des tresses nouées en chignon. Dans bien d’autres cas, notamment lors d’entretiens d’embauche, des femmes d’origine africaine ont aussi rapporté qu’elles s’étaient senties obligées de se lisser les cheveux pour paraître plus professionnelles. Ce type de discrimination ne s’arrête pas aux personnes appartenant à l’ethnie africaine : une étude de 2009 réalisée en Grande-Bretagne a montré qu’une femme blonde sur trois se colore les cheveux en brun pour paraître plus intelligente !
Quel est l’héritage de C. J. Walker dans la lutte contre la discrimination capillaire ?
Sarah Breedlove : une petite fille issue d’une famille d’anciens esclaves

Sarah Breedlove, de son véritable nom, est née d’une famille d’esclaves, à Delta, en Louisiane, le 23 décembre 1867. L’esclavage n’est aboli que depuis deux ans dans les anciens états confédérés d’Amérique. Alors, même si ses parents sont maintenant libres, la vie est extrêmement dure dans les champs de coton dans lesquels la famille Breedlove continue de travailler. Dans ces conditions difficiles, la pauvre petite Sarah perd sa mère alors qu’elle n’a que cinq ans, et son père, deux ans plus tard. Elle se retrouve donc orpheline à seulement sept ans et part vivre avec sa sœur aînée et son mari violent dans le Mississippi. Pour échapper à cette situation insupportable, elle se marie à quatorze ans avec Moses Mac Williams duquel elle a une fille prénommée Lelia. Celle-si sera connue sous le nom de A’Lelia Walker lorsqu’elle succèdera à sa mère à la tête de son entreprise.
Vers une nouvelle vie à Saint-Louis
Moses décède à son tour alors que Sarah n’a que vingt ans. Sa fille sur les bras, elle décide alors de rejoindre ses frères à Saint-Louis, dans le Missouri. Là, elle travaille très dur comme blanchisseuse, mais ne gagne pas beaucoup d’argent. Parallèlement, déterminée à offrir une véritable éducation à sa fille, elle prend des cours du soir et devient l’un des piliers de l’Église méthodiste Saint Paul. Dans cette communauté noire, elle fréquente la bourgeoisie de Saint-Louis qui comprend notamment des barbiers propriétaires de leur boutique. Elle y fera d’ailleurs des rencontres qui lui serviront dans sa réussite.
Les débuts dans l’industrie capillaire de C. J Walker
En 1905, elle emménage à Denver où elle travaille comme cuisinière auprès d’un pharmacien. Avec lui, elle apprend la chimie basique et met au point une pommade contre les pellicules. À cette époque, beaucoup d’afro-américains souffrent de cette affection, car ils n’ont, pour la plupart, pas accès aux salles de bain, rendant les soins d’hygiène difficiles. Sarah peaufine son savoir-faire en travaillant pour le compte d’Annie Malone. Elle vend les produits de sa patronne au porte-à-porte tout en mettant au point son propre soin capillaire. Destiné aux cheveux texturés des femmes afro-américaines, le produit permet d’arrêter la chute des cheveux et de favoriser leur repousse.
De Sarah à « Madam »
En 1906, Sarah épouse Charles Walker. Elle et sa fille garderont son nom même après la mort de celui-ci. Cet homme, aide son épouse sur le plan de la promotion de ses produits pendant qu’elle continue de les vendre au porte-à-porte. Le succès devient tel que, son entreprise devient
« Madam C.J. Walker Manufacturing Company ».
Le terme « Madam » prenant son origine dans l’industrie de la beauté française, une référence incontournable ! La petite orpheline née d’une famille d’esclave devient alors la première femme noire millionnaire des États-Unis.
Un sens des affaires affûté
Les ventes des produits allant crescendo, Madam Walker fait construire une usine à Indianapolis. Une centaine d’ouvrières afro-américaines y travaille pendant qu’un important réseau de représentantes assure les ventes dans tout le pays. L’essor continue avec l’ouverture de nombreux salons spécialisés dans les principales villes des États-Unis. Elle offre ainsi à un grand nombre de femmes noires la possibilité de s’émanciper en faisant carrière et en acquérant une réelle autonomie financière.
Madam C.J. Walker : une militante philanthrope
Grâce à sa notoriété et à sa richesse, elle s’engage dans la cause des afro-américains :
- En 1911, elle aide financièrement à la construction de l’Association chrétienne des jeunes hommes afro-américains (YMCA) d’Indianapolis.
- Elle offre aussi sa contribution à la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP).
- Elle fournit également des bourses à plusieurs étudiants de collèges et internats noirs.
- Elle soutient financièrement des orphelinats et des maisons de retraite.
- Devenant politiquement active, elle se prononce contre le lynchage des noirs lors d’un défilé de protestation silencieux et à l’occasion d’une visite à la Maison Blanche.
- En 1917, elle défend les droits des soldats afro-américains ayant servi en France pendant la Première Guerre mondiale.
L’héritage vivant de Madam C.J. Walker
L’histoire de cette « self made woman » continue d’inspirer des générations entières à défendre la diversité, capillaire ou autre, et à promouvoir l’égalité sur tous les fronts. Ainsi, son combat pour l’autonomisation des femmes et la reconnaissance de la beauté naturelle demeure un héritage bien vivant. L’action législative telle que la loi du 28 mars 2024 trouve sûrement, au moins en partie, ses racines dans le combat d’une petite orpheline issue d’une famille d’esclaves afro-américains.
Aujourd’hui, plus que jamais, honorons l’héritage de Madam C.J. Walker pour continuer à progresser vers un avenir où chaque individu peut s’épanouir pleinement, sans crainte d’être victime de discrimination ou de préjugés liés à son apparence.
Sources :